L’homme de l’avenue by Frédéric Dard

Auteur:Frédéric Dard [Dard, Frédéric]
La langue: fra
Format: epub
Tags: Policier thriller
Éditeur: 12-21
Publié: 2013-03-14T16:00:00+00:00

CHAPITRE VI

Elle s’était levée, et quand nous pénétrâmes dans sa chambre, elle fourrageait dans le tiroir d’une délicate commode. La lumière l’a fait vaciller. Lucienne a mis son bras en parade devant ses yeux. Elle a attendu quelques secondes et l’a abaissé progressivement. Son regard affolé nous observait par-dessus le délicat rempart de ce bras. J’ai vu, alors, qu’elle tenait un revolver à crosse de nacre et j’ai eu peur qu’elle ne s’en serve. Lucienne Massais paraissait dans un état second. Sa robe n’avait plus de forme, tant elle était froissée. Ses cheveux ébouriffés lui composaient une auréole hirsute qui, loin d’être comique, lui conférait un aspect démentiel.

– Voyons, Lucienne, ai-je dit doucement, qu’est-ce qui se passe ?

Ma voix a paru la tirer d’un mauvais rêve. Elle s’est assise sur le lit au milieu duquel son corps avait dessiné un creux.

– J’ai cru… j’ai cru…

Elle hoquetait. Je me suis avancé en m’efforçant de sourire pour la rassurer. Sa main tenant le revolver tremblait et je m’attendais à voir partir le contenu du chargeur à travers la pièce.

– Qu’avez-vous cru, ma chère ?

Maintenant, j’étais devant elle, m’interposant entre l’arme et Sally.

– Hein ? ai-je insisté en étendant la main.

Lucienne a eu une brusque dérobade. D’un coup de reins, elle s’est lovée sur l’oreiller.

– Auriez-vous peur de moi, maintenant, Lucienne ? Vous ne me reconnaissez donc pas ?

– Si.

– Eh bien alors ? Tenez, je vous présente ma femme, Sally, qui vient d’arriver. Posez ce revolver, voyons, c’est un jouet qui peut être dangereux lorsqu’on a vidé quelques verres de trop.

Sally m’a rejoint près du lit. Je crois que c’est son aspect qui a achevé de calmer Mme Massais. Ma femme est vraiment mignonne : plutôt petite pour une Américaine, bien faite, jolie et tendre.

– Ravie de vous connaître, madame Massais. Willy m’a dit que vous aviez bien des désagréments. Je suis navrée pour vous…

Lucienne a lâché le revolver. L’arme est tombée sur la moquette où je n’ai eu qu’à la ramasser. C’était un vrai revolver de salon, plus décoratif que dangereux. J’ai remarqué que le cran d’arrêt était mis et j’aurais parié n’importe quoi que Lucienne n’était pas fichue de le débloquer.

Mme Massais continuait de fixer Sally avec cette attention soucieuse qu’on apporte à l’examen d’un objet qu’on est sur le point d’acquérir. À la fin, elle lui a souri et a murmuré :

– Enchantée !

– Que diable fabriquiez-vous avec cette arme ? lui ai-je demandé.

Son sourire a disparu.

– Je me suis réveillée en sursaut. J’ai eu la sensation que…

Sally m’a jeté un regard apitoyé. Cette femme était au bord de la dépression. Je me félicitais de plus en plus de lui avoir caché la mort de son mari. Dans l’état où elle se trouvait, elle se serait sûrement livrée à un acte désespéré.

– Vous avez eu la sensation de quoi ? a murmuré Sally en s’asseyant auprès d’elle et en lui passant le bras autour de l’épaule.

– Qu’on allait me tuer. J’ai entendu le bruit de vos voix et c’est ce qui a dû me réveiller.

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